Très étonnée par les réactions qu'a suscitées le texte de Claude Guillon, A quoi servent les pédophiles?, que j'avais repris dans le premier numéro d'Icare, je tenais à évoquer à nouveau la question et faire le point sur les principaux arguments qui lui ont été opposés.
J'avoue que je ne m'attendais pas du tout à de telles réactions, du moins de la part de libertaires dont je me sens tout à fait proche sur le plan des idées. Lorsque j'ai lu le texte en question pour la première fois, il y a quelques années, bien sûr j'ai été fort étonnée de lire ces propos si peu communs dans un livre édité, mais je n'y ai rien trouvé de scandaleux! Vu l'indignation face à ce texte, je me suis posé beaucoup de questions.
Effectivement, chaque fois que je suis confrontée à un débat autour de cette question, il est presque impossible de discuter sereinement: je suis face à des réactions viscérales, dictées par l'horreur que suscite d'emblée -et c'est compréhensible- l'utilisation d'un terme ambigü. Le pédophile, celui qui aime des enfants charnellement, est devenu indissociable du violeur, ou du manipulateur – qu'il est parfois mais, heureusement, pas automatiquement!
Cependant, même lorsque cette différentiation semble claire, l'indignation souvent persiste. Parmi les arguments « anti-pédophilie » récurrents, revient souvent l'idée que l'écart d'âge et d'expérience induirait nécessairement un rapport malsain, de domination.
On trouve naturel (tout de même!) que les enfants vivent des expériences érotiques, mais uniquement avec d'autres enfants. Qu'un enfant ait des attirances pour un adulte ou vice versa est perçu comme une déviance sexuelle.
Non seulement je trouve que c'est là une vision plutôt figée et réductrice de l'érotisme (jusqu'à quel écart d'âge une relation est-elle jugée admissible ?) mais c'est clairement refuser de prendre en considération les désirs réels y compris des enfants.
En réalité, ceux là même au nom de qui l'on s'indigne sont jugés malsains dès lors qu'ils osent aimer en-dehors des normes établies.
Un autre des raisonnements étranges consiste à dire que l'enfant ne se rend pas compte sur le moment de ce qui lui arrive, mais qu'il le regrette plus tard.
Là, ça va loin: même si un enfant est heureux et prend du plaisir, ça ne va toujours pas, il faut qu'il soit traumatisé a posteriori ! Mais d'où vient donc ce traumatisme tardif (dans les cas où relation a été librement vécue) sinon du regard culpabilisateur porté par des adultes bien-pensants ?
Il est vrai qu'il faut être vigilant en matière d'érotisme, et je suis bien la première à dire qu'un relation sexuelle n'est jamais anodine, et qu'il y entre autre chose que le plaisir brut, mais enfin cela est vrai de n'importe quel type de relation, quels que soient l'âge, le sexe et le caractère des partenaires !
Ce qui ressort, donc, de ce discours-type, c'est que finalement, que l'enfant vive une relation érotique épanouissante, on s'en fout ! Les adultes ont déjà décidé de ce qui est bon ou mauvais pour lui...
Des questions assez similaires se posent d'ailleurs concernant les rapports entre hommes et femmes. Oui, le sexisme existe toujours. Oui, il arrive que des hommes dominent consciemment ou non des femmes. Pour autant faudrait-il conclure à une incompatibilité insurmontable ?
Ce n'est pas parce qu'un enfant peut être plus facilement manipulé que les relations qui le lient à des adultes sont obligatoirement de l'ordre d'une manipulation. Sinon, il faudrait cesser immédiatement de discuter avec les enfants et de répondre à leurs questions !
Il en est finalement exactement de même pour les rapports entre adultes que pour les rapports entre adultes et enfants: certains sont axés sur le pouvoir et la soumission, d'autres parviennent à s'épanouir librement. Condamner les uns ne conduit pas à refuser à l'avance toute forme de relation! Pourquoi les enfants n'auraient-ils pas les mêmes droits ?
Triste de constater qu'il y a tellement de gens pour condamner l'amour. Celui qui ne se satisfait pas des normes. Celui qui refuse d'être étiqueté.
Je persiste à dire que toute forme d'amour est respectable, tant qu'elle ne se nourrit d'aucune contrainte.
Ce qui m'agace surtout, c'est que tout le monde approuvera sans problème l'idée théorique selon laquelle les libertaires défendent le droit à l'amour sans restriction d'âge ni de sexe. C'est une « belle idée » que, présentée de la sorte, personne ne conteste. Mais dès qu'on cherche à l'appliquer vraiment, d'une façon qui n'est pas encore entrée dans les moeurs, c'est une autre histoire !
Les réactions suscitées par les propos de Guillon sont pour une grande part du même ordre que l'hostilité dont l'homosexualité a été, et est toujours, l'objet.
On utilise la fragilité de l'enfant pour réprimer des pratiques qui semblent étranges et qui mettent mal à l'aise, quand la plupart des adultes n'hésitent pas à nier sa sensibilité lorsqu'il s'agit de préserver leur petit confort. Il suffit de songer aux bébés qu'on refuse de nourrir en-dehors des heures fixées par les parents, qu'on laisse pleurer sans prendre leur souffrance au sérieux, aux difficultés que rencontrent les mères qui veulent allaiter leur enfant, puis plus tard aux contraintes imposées par le système scolaire. On ne cesse d'imposer aux enfants d'inutiles règles qui nuisent à leur bien-être. Et dès qu'il s'agit de plaisir, on se souvient tout-à-coup que ce sont des enfants, et qu'il faut leur accorder de l'attention.
C'est vrai, trop souvent des gens abusent de leur pouvoir sur d'autres moins expérimentés, ou moins sûrs d'eux. Trop souvent aussi des hommes considèrent des femmes comme des objets, ou simplement manquent d'égards.
Mais l'amour n'est pas ça, et l'image qu'on en donne aux enfants contribue bien plutôt à le dissimuler.
Athalie