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Voici le témoignage d’une militante communiste espagnole incarcérée actuellement en France, après avoir effectué dix-huit ans de prison en Espagne. On comprend aisément qu’elle et ses compagnons sont jugés une deuxième fois pour des faits déjà punis en Espagne : ayant déjà fait de la prison pour leur appartenance aux GRAPO (groupe de résistance antifasciste du premier octobre), on les juge en France en tant que membres du PCE(r) (parti communiste d’Espagne reconstitué), que les justices françaises et espagnoles prétendent  lié aux GRAPO .
Je dois préciser que je désapprouve fondamentalement les positions politiques du  PCE(r) en tant que parti d’obédience stalinienne ! Mais il me semble que les propos de Josefina sont assez éloquents quant au fonctionnement de la justice.



ICARE : Peux-tu te présenter, expliquer le contexte dans lequel toi et tes camarades avez été incarcérés une première fois en Espagne ?

JOSEFINA : Je m'appelle Josefina Garcia Aramburu (Fina). Je suis une militante communiste du Parti Communiste d'Espagne (reconstitué), qui a été mis hors la loi en Espagne en mars 2003. J'ai 53 ans et j'ai été arrêtée pour la première fois en Espagne, en juillet 1976, lors d'un état d'exception au Pays Basque. Cela signifiait que tu étais jugé par un Tribunal militaire, bien qu'à cette époque le dictateur Franco est déjà mort depuis un an et qu’ en apparence, on jouit d'un gouvernement dit démocratique. Ce fut un capitaine de l'armée. le premier « juge instructeur » que je vis. Quelques mois après, notre dossier fut envoyé au Tribunal d'Ordre Public, un tribunal d'exception « civil » de l'époque de Franco qui restait toujours en vigueur. En avril 1977, je fus remise en liberté provisoire. On ne m'a jamais jugé pour ces faits. J'ai été arrêtée une deuxième fois, aussi en Espagne, accusée d'association illicite et propagande illégale, en 1979; on disait à l'époque que l’Espagne était un pays avec une démocratie jeune, mais forte. Loin de là! Les formes fascistes du pouvoir de l'époque de la dictature restaient toujours en place : même police, mêmes juges, mêmes lois répressives. Et voilà qu'on incarcérait les gens pour leurs idées. Je suis restée quelques mois en prison puis je suis sortie en liberté provisoire sans avoir jamais été jugée pour ces faits.
Ma dernière arrestation en Espagne eut lieu en 1983. J'étais à l'époque militante d'une organisation armée antifasciste, les GRAPO (Groupes de Résistance Antifasciste Premier d'Octobre). Deux ans après ma dernière sortie de prison, j'ai décidé de prendre les armes pour faire face à la sale guerre qui était en train de se développer en Espagne, pour faire face aux assassinats d'ouvriers qui luttaient contre la reconversion industrielle, aux assassinats commis des deux côtés des Pyrénées par les bandes para-policières contre les militants politiques, syndicaux et même des citoyens sans aucun engagement politique. J'ai pris les armes pour ouvrir le chemin au travail politique révolutionnaire qu'on ne pouvait presque pas développer. Cette fois je suis restée en prison jusqu'à février 2000, par suite des différentes peines cumulées lors des multiples procès que j'ai dû affronter à cette période.


ICARE : Comment s'est passée ton arrestation en France ?

JOSEFINA : J'ai été arrêtée à Paris, avec mon compagnon, Joaquin Garrido Gonzàlez, le 18 juillet 2002. Lors de cette même opération ont été arrêtés deux autres militants de notre Parti, un membre des Comités pour un Secours Rouge International (organisation de solidarité avec les prisonniers politiques), trois guérilleros des GRAPO et un vieux communiste. Mon compagnon et moi avons été arrêtés dans l'appartement où nous habitions. De noirs gorilles ont enfoncé la porte d'entrée et nous ont jetés par terre en nous frappant partout. Je m’en suis tirée avec une côte cassée et un oeil tout bleu. On nous a emmené â la DNAT (division nationale antiterroriste) et on y est resté durant quatre jours, en application de la législation antiterroriste.

ICARE : Comment s'est déroulée l'enquête internationale au cours de laquelle cette arrestation a eu lieu ?

JOSEFINA : Le juge Bruguière, bien connu parmi les avocats et les milieux politiques pour ses méthodes inquisitoriales, ses menaces en tout genre et son anticommunisme viscéral, a été le juge chargé de notre instruction qui a été réalisée en grande partie par la garde Civile espagnole. Durant trois ans, ils ont construit un dossier plein de manipulations et de mensonges si évidents qu’ils sont  vraiment honteux. On pourrait en parler des heures et des heures.
La Garde civile espagnole et son collaborateur parisien ont tenté de cacher la criminalisation de notre Parti avec de supposées données et des renseignements faussés. Ils affirment, par exemple, que le PCE (r) et les GRAPO signent leurs communiqués ensemble, que l’organisation armée soutient économiquement le Parti. Ils mélangent des organismes du PCE (r) et des GRAPO : Comité central avec Commando central ; Commissions Politiques, d'Organisation, de Propagande, d'International avec des divisions de Logistique, de Renseignements, ... Mais ce ne sont que de grossières falsifications et des manipulations que nos avocats et nous-mêmes nous sommes chargés de démonter lors du procès.
Le problème c'est que dans les dites démocraties européennes, on ne peut pas présenter en public la poursuite d'un parti politique. Mais, par ailleurs, ils avaient besoin d'empêcher que plus de 30 ans d'histoire du PCE (r) de défense des intérêts et des objectifs politiques de la classe ouvrière et de dénonciation de la frauduleuse réforme politique du régime fasciste espagnol soient mis en évidence lors du procès. Et ils avaient par contre besoin que soit mis en évidence le montage canaille de l'accusation et le vrai objectif politique caché : la criminalisation des activités politiques du PCE (r).


ICARE : Quel est le motif d'inculpation en Espagne ? En France ? Quels différents groupes concerne­ t-il ?

JOSEFINA : L'accusation en Espagne et en France est la même: « associations de malfaiteurs en vue de commettre des actes de terrorisme ». Ici et en Espagne, « l'association de malfaiteurs » est un sac juridique large et vague à l'extrême, qui permet tout ou presque tout dans le domaine de la procédure. Il y a des personnes qui la comparent, et ils n'ont pas tort, avec le Patriot Act qui donne un support juridique aux États-Unis aux détentions arbitraires, et illimitées dans le temps, des suspects présumés.
Dans notre cas, cette accusation a eu lieu dans un contexte très particulier. En septembre 2002, le gouvernement espagnol adoptait la « Loi des Partis », qui signifiait la poursuite de tous ceux qui n'étaient pas d'accord avec la pensée unique. À partir de ce moment-là, les mis hors la loi vont se succéder en cascade. Partis politiques, moyens d'expression, collectifs anti-répressifs, associations culturelles et même les manifestants contre la guerre en Irak seront criminalisés et considérés comme des terroristes. L'arrêt des mis hors la loi du PCE (r), tout un traité de tautologie fondé sur de grossiers mensonges et manipulations, fut dicté le 13 mars 2003. Comme par hasard, quelques jours après que monsieur Bruguière se soit rendu en Espagne, ait eu un entretien avec des autorités politiques et judiciaires et leur reproche le fait qu’il mettait en accusation à leur requête, en France, un parti politique espagnol qui n’était pas illégal en Espagne. Dans cet arrêt, on a criminalisé notre Parti, les Comités pour un Secours Rouge International, l'organisation Croix Noire Anarchiste, et l'association des avocats ALA (Association Libre des Avocats), entre autres. Plus de 20 personnes ont été incarcérées, en France et en Espagne, par suite de cet arrêt, et la plupart est toujours en prison. Et on peut arrêter des centaines, même des milliers de personnes si l'on veut. Nous tous sommes terroristes! Tout est terrorisme! Voici le principe.



ICARE :Quelle est ton analyse du comportement de la justice française ?

JOSEFINA :Je n'ai pas une connaissance profonde du système judiciaire français, mais elle n’est pas nécessaire pour savoir qu'il s'agit, en tout cas, d'une justice qui défend les intérêts d'une classe, de la bourgeoisie; donc, c'est une justice faite à sa mesure, pas à la mesure du peuple. Cela dit, en ce qui concerne les procès à caractère politique, le moins qu'on puisse dire c'est que les procès sont toujours une farce. Lorsque nous allons être jugés, nous savons d'avance que nous allons être condamnés; en fin de compte, nous luttons contre ce système pourri qu'ils défendent. L'absurde est déjà le principe : la « justice », comme si s'était quelque chose d'impartial, par-dessus tout, même des intérêts de la classe qu'elle représente.

ICARE : Comment se fait-il que la France puisse juger des Espagnols pour des actes « commis » en Espagne ?

JOSEFINA : En théorie, la France ne peut pas juger des Espagnols pour des actes « commis » en Espagne; c'est pourquoi on a mis en place, il y a longtemps, les procès d'extradition, aujourd'hui devenus « euro-ordres ». Cela dit, ils nous jugent ici, en France, sous l'accusation générique d'association de malfaiteurs, parce qu'ils ont décidé que le seul fait d'être en France avec de faux papiers fait de nous automatiquement des « malfaiteurs en vue de commettre des actes de terrorisme ». En fait, nos avocats se sont bien attaqués à ce principe parce que nous n'avons commis aucun délit en France, sinon le fait d'avoir de faux papiers.

ICARE : Quelle est selon toi la vraie raison de cette incarcération ?

JOSEFINA : Il faut chercher la vraie raison de notre incarcération dans les intérêts politico­- judiciaires des autorités espagnoles. En fait, on peut affirmer que notre condamnation fut dictée avant même que nous soyons arrêtés. Le PCE (r) n'avait jamais été condamné pour terrorisme et jusqu'au moment de notre arrestation, il n'y avait aucun mandat d'arrêt contre nous en Espagne, et aucun mandat d'arrêt international n'avait été délivré non plus. L'accusation d'association de malfaiteurs surgissait, comme le monde dans le mystère de la création, du néant. Mais cela faisait partie du plan de ces généreux associés de la Garde civile espagnole. Elle répondait aux intérêts politiques des autorités espagnoles et comptait sur l'accord collaborationniste des autorités françaises. On n'avait besoin de rien de plus.
Le seul rôle du Droit dans cette histoire est de donner un vernis juridique aux décisions politiques préalables. Il est aussi significatif à ce sujet qu'on ait accordé notre extradition en Espagne pour le même présumé délit d’ « association de malfaiteurs » pour lequel nous sommes déjà mis en accusation ici, en France. En théorie, personne ne peut être jugé à deux reprises pour les mêmes faits. Mais ils avaient besoin de présenter des charges contre le PCE (r) en Espagne pour soutenir les procès en France. Pour justifier la mise hors la loi du Parti en Espagne, et balayer au passage les membres des Comités pour un Secours Rouge International, des Associations des Parents et des Amis des prisonniers politiques et d'autres organisations anti-répressives et de solidarité, ils avaient besoin de la poursuite en France de la "présumée direction de la bande PCE (r)-GRAPO".

ICARE : Reçois-tu des violences régulières en prison et quel type de violences ? La censure du courrier est-elle courante ? Les permis de visite sont-ils difficilement accordés ?

JOSEFINA : Lorsqu'une personne entre en prison, elle perd l'une des choses les plus appréciables : la liberté. On pourrait croire que la seule chose qu'elle perd est sa liberté. Grosse erreur! La liberté est le premier maillon d'une chaîne comportant toute une série de choses qu'on tente d'arracher à tout prisonnier. La première de ces humiliations se produit juste au moment où l’on est placé en détention. Ils t'obligent à perdre ton intimité personnelle, soit de bon gré soit par la force. Ton intimité est violée et humiliée jour après jour au cours des nombreuses fouilles à nu qu'ils te font subir dans une prison, la plupart du temps sans aucune raison, simplement parce que « c'est le règlement! ». Ton intimité est ensuite violée tous les jours avec la censure parfois systématique de ton courrier, de tes parloirs avec tes proches. Ils lisent tes lettres, celles que tu écris et celles que tu reçois, sans aucune raison, simplement parce que « c'est le règlement! ». Et tu n'as pas non plus le droit de parloir avec ta famille, tes amis ou tes proches. Il faut demander une autorisation pour chaque personne qui veut venir te voir et qui doit apporter deux photos carnet et une photocopie recto verso de la carte d'identité. La plupart des demandes sont refusées sans aucune raison; seulement parce que le juge ne le veut pas (lorsque tu es prévenu) ou parce que l'administration pénitentiaire ne l'autorise pas non plus (lorsque tu es déjà condamné).
Ils violent aussi ta dignité personnelle. On le sent dans la façon de s'adresser à toi : le détenu reçoit toujours des ordres, la plupart du temps sans droit de réponse. En fait, le détenu n'est qu'un numéro: le numéro d'écrou, le numéro qu'ils te demandent toujours pour t'identifier. C'est une dépersonnalisation des détenus : il s'agit de leur arracher leurs caractères d'identification les plus personnels. Tout cela est accompagné de l'imposition d'une discipline quasi militaire à des personnes qui ne sont pas des militaires, et qui, par conséquent, ne doivent pas être soumis à une telle discipline. C'est une discipline dans le langage, dans les habitudes, dans les comportements qui tendent à faire des détenus presque des robots, des machines qui marchent et qui s'arrêtent à la voix des matons.
Il y a encore une autre chose tout à fait intolérable et qui concerne la santé, ou pour être plus précis, la relation entre le médecin et le patient. Il s'agit du code déontologique, voire la confidentialité du serment d'Hippocrate. Lorsqu'un détenu doit être transféré dans un hôpital, outre les nombreuses mesures de sécurité prises- y compris les menottes aux mains et les entraves au niveau des pieds- le détenu est obligé de voir le médecin et d’ être examiné devant les gendarmes et le surveillant de prison qui, bien entendu, écoutent tout l’entretien avec le médecin et, s'il le faut, te voient complètement nu.
L'administration pénitentiaire justifie ces mesures intolérables, qui sont même considérées par différents tribunaux partout dans le monde comme des attaques aux droits fondamentaux des personnes, sous prétexte de veiller à la sécurité. C'est un argument complètement faux. Je peux assurer qu'on peut conjuguer sécurité et dignité, sécurité et intimité. On parle des tortures et sévices dans les prisons d'Irak et de Guantanamo, mais cela arrive aussi tous les jours dans les prisons de la France ; ici, on frappe un détenu jusqu'à lui casser des côtes (ou pire) simplement parce qu’il  refuse l'humiliation d'une fouille à nu.

ICARE : À propos des conditions de détention: comment sont les rapports avec les autres détenues ? Comment sont en général les relations entre détenus et matons ?

JOSEFINA :Les rapports avec la plupart des détenues sont toujours bons. Ici, on passe la plupart du temps dans la cellule (il y a deux heures par jour de promenade, c'est tout) ou on participe aux différentes activités. Normalement, l'ambiance générale est bonne. Mais cela n'empêche pas, comme cela  arrive d'ailleurs dans la rue, qu'il y ait des conflits de temps en temps entre certaines détenues. Nous, les prisonnières politiques, avons une façon d'affronter la prison très différente de la plupart des détenus. Nous étudions, nous faisons de petits travaux littéraires (même, politiques) pour envoyer à nos amis, nous lisons et nous écrivons pas mal de lettres... Nous menons une vie organisée. On n'a pas vraiment le temps de nous occuper de disputes pour de petites histoires.
Concernant les matons, les relations sont, en général, respectueuses. Mais il y a des disputes de temps en temps lorsqu'ils essaient de t'humilier. Pour nous, la dignité et l'intimité sont des choses « sacrées » et on ne supporte pas qu'on veuille nous dénigrer. Mais s'ils font leur travail et qu'ils nous respectent, alors nous n'avons aucune envie d'être en dispute continue. Nous gardons nos énergies pour développer le travail que nous voulons mener à bien: c'est-à-dire, l'étude des textes des classiques du marxisme-léninisme, l'apprentissage du français ou de l'informatique, la lecture de romans en espagnol et même en français, l'écriture et quand on peut, de petits travaux manuels.


ICARE : Comment s'est déroulé le procès ?

JOSEFINA : Nous sommes vraiment satisfaits du procès que nous avons finalement réussi à faire. Chaque séance a été une vraie bataille, mais dans le sens le plus littéral du mot. Il a fallu se battre pour le droit de défense, le droit à la parole, l'imposant par la force jusqu'à l'expulsion. L'un de nous est expulsé; l'autre essaie de continuer et se fait aussi expulser. L'autre continue et... on doit « soumettre » la position ennemie et alors oui, alors celui qui a le tour de parole doit « profiter » de la fente qu'on a arrachée pour dire tout ce qu'on peut. Cela nous a coûté quelques « coups » et accrochages, mais dans la deuxième semaine nous avions déjà réussi à les démasquer.
Comme on le sait bien, pour les autorités politiques et judiciaires bourgeoises, que ce soit en France, en Espagne ou dans un autre pays occidental quelconque, c'est un axiome en usage que les idées ne sont pas criminalisées, qu'il n'y a pas de procès politiques, qu'il n'y a pas de prisonniers politiques. Donc, on ne peut pas se défendre de la seule façon que nous pouvons et devons le faire : en expliquant nos idées politiques et les motifs de notre lutte. C'est pourquoi ils ont besoin de ne pas nous laisser nous exprimer. Nous sommes un danger; nos idées peuvent prendre racines entre les masses populaires et il faut l'empêcher coûte que coûte. Et le Tribunal était fermement décidé à suivre au pied de la lettre les ordres reçus de ne pas nous laisser parler. Mais nous avons réussi à nous faire entendre et à démasquer une bonne partie des mensonges du dossier et même le Tribunal qui s'est toujours targué d'une façon d'agir tout à fait inquisitoriale.
Le bilan est donc positif, bien que nous sachions que nous sommes déjà condamnés. Notre situation personnelle est concluante. En fait, nous avons déjà accompli trois ans de cette condamnation. La seule chose qui nous reste à savoir maintenant c'est combien de plus nous devrons encore accomplir. Et on le saura le 12 janvier. Le procureur a demandé des peines allant entre 3  et 10 ans. Pour moi, la peine encourue est de 8 ans.


Josefina Garcia Aramburu Prisonnière Politique du PCE (r) -Parti Communiste d'Espagne (reconstitué)­