Les nezbuleuses _ Wécré théâtre
1) Icare: Comment sont nés les projets entre la compagnie Wécré et les Nezbuleuses ?
Estelle: Trois comédiennes de l'association Les Nezbuleuses, ont été accueillies par la compagnie Wécré théâtre à Ouagadougou il y a deux ans. Les deux compagnies ont réalisé en commun des spectacles et animations. De cette rencontre est né le désir de continuer à travailler ensemble. Wécré théâtre et Les Nezbuleuses ont donc décidé de réaliser un spectacle qui sera joué en France en 2007.
A notre arrivée des volontaires français membres de deux associations ( Pangaya et Roots de Besançon), avaient commencé un travail à l’initiative de Pangaya, sur une pièce de théâtre parlant des mythes et réalités de l’Occident. Ahmadou est un jeune homme burkinabé qui désire plus que tout aller en France, pour avoir de l’argent, une fois arrivé à Paris, il déchante vite et se retrouve dans des situations difficiles. Les trois comédiennes des Nezbuleuses rejoignent ce spectacle, et une semaine plus tard il est représenté dans différents quartiers de la ville.
Suite à cela nous avons entamé un travail théâtral avec huit adolescents rencontrés par le biais des Wécré. Nous avons travaillé en collaboration avec l’association « Roots », spécialisée dans les arts du cirque (jonglage, bolasses, feu…). Le spectacle se basait sur une légende traditionnelle choisie par les jeunes, « la princesse Malanga ». Nous nous sommes occupées d’adapter cette histoire et de la mettre en scène en intégrant les arts du cirque. Les répétitions ont duré une dizaine de jours, à l’issue desquels deux représentations ont été données.
L’organisation des répétitions se déroulait ainsi : le matin, les jeunes travaillaient avec les roots sur le cirque (assouplissement, manipulation, danse, fabrication de balles et de quilles de jonglage). L’après midi était consacré au jeu d’acteur (occupation de l’espace scénique, improvisation…). Puis avec les comédiens de la compagnie Wécré, nous avons mis en place des saynètes de théâtre forum autour de différents thèmes, principalement sur l’hygiène et les dangers de la vente de médicaments dans la rue. Nous sommes partis dans plusieurs villages autour de Ouagadougou : Roumtinga, Sakoula, la zone non lotie de Toukin, NiokoII, et Toudoubweoguin. Les spectacles étaient donnés en Moré (langue locale). Nous avons donc appris quelques rudiments de la langue pour jouer et nous intégrer plus facilement au sein des populations. Chaque saynète de sensibilisation suscitait un débat avec le public, qui était très actif et engagé dans ses interventions.
En fait on a décidé de continuer à travailler ensemble, pour plusieurs raisons je pense. D'abord parce que c'est enrichissant pour des comédiens qui viennent de pays différents avec des cultures différentes d'échanger dans un travail commun, en voyant ce que nous nous pouvons leur apporter et inversement. Et puis je pense parce qu'on a tout simplement aimé travailler ensemble.
Enfin, parce que je pense qu'on a envie de dénoncer des choses qui nous paraissent anormales, eux en tant que "ex"-colonisés (même si l'on sait bien que la colonisation continue), nous en tant que "ex" colonisateurs. En quelque sorte nous sommes tous des jeunes qui vivent à 4000 km, mais qui sont confrontés aux mêmes non dits, à des dirigeants qui nous mentent, et qui exploitent les peuples (tu sais tout ça mieux que moi). Bref des deux côtés du globe on a le même désir de dénoncer, pour mieux avancer, pour construire un autre avenir... (ça c'est pour la pièce).
En ce qui concerne le projet de contes, c'est plus pour que les Wécré puissent apporter un peu de leur culture chez nous, pour faire partager cela au public français.
2) Icare:Peux-tu me parler des représentations que vous avez faites cet été 2006 au Burkina Faso ? Estelle: Cet été on a donc fait 2 spectacles « Amadhou », mais bon mieux vaut que tu n’en parle pas c’était plein de bonnes intentions mais ce n’était pas très intéressant. On l’a faite sur place à l’initiative de l’association Pangaya. Mais c’était bourré de clichés. Ce n’est pas une pièce qui pourrait être jouée en France, c’est trop bateau. Ensuite on est parties faire du théâtre forum avec les Wécré. Là c’était les Wécré qui menaient les répétitions et la tournée. Nous(pour cette partie il y avait juste Julie, moi, Anne, et Marie),on a plus intégré des scènes qui faisaient déjà partie du spectacle. Il y avait des scènes sur l’hygiène. Par exemple on voit la préparation dans un restaurant « Chez Tanti » de la cuisine qui sera servie aux clients. La patronne éternue au dessus des plats, ensuite ce sont ses serviteurs qui crachent par terre, qui se grattent la tête… etc.. Jusqu’à ce que les clients arrivent et qu’ils vomissent ce qu’ils mangent, il y a une dispute, etc.. Cette scène par exemple était traitée de manière très comique. Le public était mort de rire. C’était très clownesque. Et une fois que la scène était terminée,un animateur (un comédien des Wécré qui ne jouait pas dans cette scène) venait poser des questions au public. Les comédiens restaient dans leur personnage, et c’était en tant que personnages qu’ils parlaient avec le public. Ainsi par exemple dans cette scène Tanti était régulièrement rappelée, et les gens du public formulaient leurs remarques, sur la manière dont elle préparait la cuisine. Ah oui j’ai oublié de te dire que toutes les scènes étaient jouées en Moré (dialecte principal du Burkina). Nous avons donc appris plusieurs mots. Voilà je ne vais pas te décrire toutes les scènes. Mais il y en avait aussi une autre sur les médicaments de rue (qui sont un vrai problème là bas). Au Burkina la grosse majorité des gens sont trop pauvres pour avoir accès aux soins. Il s’est donc développé un commerce dans la rue où des petits vendeurs à la sauvette vendent sans paquets ni rien les médicaments aux gens. Soit ce sont des médicaments périmés, soit ils ne correspondent pas du tout au mal des gens. C’était des scènes qui traitent du quotidien des populations, des problèmes qu’ils peuvent rencontrer tous les jours.
3) Icare: Qu’est-ce que le théâtre forum ? Estelle:Je peux te répondre avec mes références à moi, mais si tu veux quelque chose de plus théorique, lis Augusto Boal. C'est lui qui a créé le théâtre de l’opprimé… « Le théâtre de l’opprimé est un système d’exercices physiques, de jeux esthétiques, de techniques d’images et d’improvisations spécifiques, dont le but est de sauvegarder, développer et redimensionner cette vocation humaine, en faisant de l’activité théâtrale un outil efficace pour la compréhension et la recherche de solutions à des problèmes sociaux et personnels. » Le théâtre forum c’est donner à voir aux spectateurs des situations qui posent des problèmes, et trouver des solutions à ces problèmes par le médiateur du jeu. J’ai vu un jour un spectacle de théâtre forum par la compagnie « Entrée de jeu », compagnie française spécialisée dans le théâtre forum. Bernard Grosjean, directeur de la compagnie a été formé par Boal. Il y a des phases du spectacle bien précises. 1) Les acteurs font les scènes du spectacle une par une (en l’occurrence c’était un spectacle sur l’éducation et le public dans la salle était des personnes professionnelles des métiers de l’enfance, éducateurs, profs…) 2) Le meneur (l’animateur, la personne qui est en dehors du spectacle mais qui mène par la suite le débat), invite ensuite le public à voter pour les trois ou quatre scènes qu’ils préféreraient revoir. 3) Le public vote. 4) Les acteurs reprennent les scènes du début. 5) Le meneur invite ensuite le public à arrêter la scène dès qu’il n’est pas d’accord avec la manière de faire des comédiens. 6) Une personne du tacles de théâtre forum, dans les scènes les problèmes sont tout de suite montrés voir amplifiés. Dans ce spectacle sur l’éducation, par exemple dans une scène entre des parents et un enfant difficile, les parents ne réagissaient pas bien sûr de la meilleure manière avec leur enfant. La scène visait à montrer leurs faiblesses. Et bien sûr cela entraîne une réaction du public. Alors le point important du théâtre forum est de passer à l’acte, parce qu’il est très facile de juger d’une situation quand on est bien calé dans son fauteuil, mais le fait d’essayer de changer les choses par le jeu en montant sur scène, permet au public de bien saisir toutes les difficultés du problème. En ce qui concerne les Wécré, ils n’avaient pas exactement la même manière de faire, parce qu’ils se contentaient de faire les scènes présentant des problèmes et ensuite d'impliquer le spectateur en l’incitant à parler, en ouvrant le débat. Cela dit les comédiens restaient dans leurs personnages pour répondre aux questions, ce qui permettait aux spectateurs de rester dans la situation et dans le jeu.
4) Icare: La conception du théâtre au Burkina te semble t-elle différente de la conception occidentale et pourquoi ?
Estelle: Oui et non. Pas simple comme question. En fait d'après le peu que j'ai vu, avec le travail des Wécré et un spectacle vu au CITO, il semble que même au niveau du théâtre, leur manière de faire est très « colonisée ». Ils font un théâtre très réaliste, très narratif, avec des scènes, des personnages, une histoire, un début, une fin. C'est très classique en somme. Alors qu'en Occident on est passé par d'autres phases, et aujourd'hui le théâtre contemporain n'a plus rien à voir avec ça. Leur théâtre n'est pas du tout africain comme on pourrait se l'imaginer, imprégné de leurs rites et de la tradition populaire. C'est du théâtre très occidental mais comme nous (les occidentaux) nous faisions avant. Et
c'est ça que nous regrettons un peu avec les filles, c'est qu'ils fassent ce genre de théâtre très conventionnel alors qu'ils ont naturellement à leur disposition des outils merveilleux pour faire autre chose (corporellement, rythmiquement,...). Après je parle du Burkina, je ne sais pas comment le théâtre a évolué dans d'autres pays d'Afrique.
5) Icare: Comment est perçu le théâtre au Burkina, par le pouvoir comme par les populations ?
Estelle: Le théâtre au Burkina est très mal perçu, déjà par les populations. Un des comédiens des Wécré (Nyber), alors que cela fait 5 ans qu'il est dans la troupe, a attendu cet été de rentrer au village où il était accompagné de blancs pour dire à sa famille qu'il faisait du théâtre. Le fait d'être accompagné de blancs cautionnait quelque part son choix. Les gens ne considèrent pas que c'est un vrai métier. Et c'est encore pire pour les filles, ce n'est vraiment pas bien vu. En règle générale, bien sûr, les parents de Wenceslas par exemple le soutiennent parce qu'ils ont vu l'importance de son travail. Mais à première vue c'est encore mal accepté.
Au niveau du pouvoir, ils sont plutôt contents que des troupes aillent faire de la sensibilisation dans Ouagadougou, ou les villages. Mais pas question de donner des sous. Les gens ne peuvent pas vivre du théâtre. C'est sûr tous les comédiens de la troupe ont soit un boulot à côté, soit ils sont extrêmement pauvres.
6)Icare: Peux-tu parler du discours que cherche à véhiculer la compagnie Wecre ? Peut-on parler d’un discours politique et en quoi ? A t-il des singularités importantes par rapport au théâtre engagé occidental (dans la manière de s’exprimer…) ? Estelle: Je pense que le théâtre des Wécré est avant tout un théâtre engagé, que ce soit avec le théâtre forum, ou les pièces créées par la compagnie. Le théâtre forum bien sûr est forcément du théâtre engagé parce qu’il soulève des dysfonctionnements du système et essaye de trouver des solutions. Ce que faisait Boal était politique. Les Wécré font des saynètes autour des thèmes de l’hygiène, des maladies, des médicaments de rue pour inciter les gens à changer leur manière de faire au quotidien. Mais il n’y a pas de remise en question directe de la politique ou du gouvernement. Avec leurs pièces, comme Le visiteur , qui traite des mythes et réalités de l’occident, des problèmes de la jeunesse du Burkina, là on touche à mon avis un peu plus au politique. Je pense donc que dans une certaine mesure on peut parler de théâtre politique, parce que leur théâtre montre les dysfonctionnements de la société. Avec notre nouvelle création commune, on peut parler de théâtre politique sans problèmes. Pour ta dernière question, encore faudrait-il pouvoir définir ce qu’est le théâtre engagé occidental, il n’y a pas une forme mais de nombreuses. Ce que je peux dire sur les Wécré, le peu que j’ai vu de leurs créations (comme Le visiteur), c’est qu’ils restent sur le mode de la fiction, avec une histoire, une narration, des personnages, un début et une fin pour soulever les thèmes dont ils ont envie de parler. Le théâtre occidental engagé, ne fait plus tellement ça il me semble. 7) Icare: Comment sont écrites les pièces (collectivement ?.. .) ? quelle est la part d’improvisation ? Quelle place est accordée aux spectateurs pendant la représentation ? Estelle: Oui les pièces sont écrites collectivement il me semble. Je pense que la part de l’impro est très importante dans leur manière de travailler, ils commencent par travailler en impros avant d’écrire la scène finale. La place qui est accordée aux spectateurs est très importante, pour le théâtre forum je n’ai pas besoin de revenir dessus tu as bien compris. Mais dans tous leur spectacle, il y a beaucoup d’humour, et de complicité avec le public. 8) Icare:Comment le public a t-il réagi aux différentes représentations des spectacles que vous avez réalisés ensemble ? Estelle: Le public africain est un public extra. Il est là complètement dedans, les gens rient, crient, parlent entre eux, commentent ce qui est en train de se passer sur scène. C’est un public très vivant, très demandeur, et très impliqué. 9) Icare: Dans quels types de lieux avez-vous joué ? Influaient-ils beaucoup sur le déroulement des représentations ? Estelle: Nous avons joué dans deux types de lieux, à Ouaga, par exemple dans un ancien cinéma en plein air, c'est-à-dire qu’il y avait des sièges et une scène. Ou encore à Ouaga dans un autre quartier avec également une scène. Et dans les villages, sous un arbre, ou dans des endroits un petit peu à l’écart. Dans ces deux genres de lieux nous avons été très bien accueillis. Le public est là, même pendant les répétitions nous avions toujours du public, la plupart du temps les enfants. Ce qui fait que le jour du spectacle, certains connaissaient déjà les moments drôles et riaient en avance. Il n’y a aucun problème pour faire venir les gens, en cinq minutes cent personnes se trouvent là comme ça. Ce que j’ai remarqué quand même c’est que les gens dans les villages étaient il me semble plus à l’écoute de ce qui se passait sur scène, plus dans le spectacle, ils participaient tout autant. En ville, c’était très vite la pagaille, et nous avions parfois du mal à nous faire entendre. C’est peut-être aussi que dans les villages nous n’avons fait que du théâtre forum. Mais je pense quand même qu’il y a une plus grande forme de respect dans les villages, les gens sont moins agressifs, rentrent plus facilement dedans que dans les villes. 10) Icare: Vous souhaitez organiser maintenant des représentations en France : n’est-il pas compliqué de chercher des subventions lorsqu’il s’agit de pièces « subversives » et dénonçant les systèmes politiques ? Penses-tu que cette démarche entre en contradiction avec l’objectif des pièces en question ? Considères-tu cela comme un « compromis » inévitable ? Estelle: C’est compliqué de chercher des subventions dans toutes sortes de projets à mon avis. Ce qu’il y a c’est que dans nos dossiers, nous n’insistons pas trop sur la pièce politique, on explique en quelques mots de quoi il s’agit mais sans trop en dire. On parle surtout du projet de contes et du fait que nous voulons aussi pouvoir faire vivre la compagnie là bas. Bien sûr on peut voir ça comme ça, on cherche à dénoncer le système tout en en profitant. Oui tout à fait je pense que c’est un compromis inévitable à faire. Mais soit dit en passant cela ne m’empêche pas de dormir, notre travail d’artiste, même si dans sa finalité veut toucher le plus grand nombre possible pour faire entendre un message, ne peut pas se passer justement de passer par des chemins qui ne sont pas forcément ceux que l’on revendique. Ce qui est le plus important pour moi c’est l’aboutissement, pas la manière dont on y arrive. * 11) Icare: Pour finir quels sont vos projets ? Sinon, quelque chose à ajouter ? Estelle: Nos projets sont de réussir à faire venir les Wécré en France, c’est de monter la pièce, la jouer, faire jouer les spectacles de contes. C’est que les comédiens des Wécré puissent faire du théâtre leur unique métier. De continuer à se battre pour bouger les consciences, pour faire prendre conscience. Pour que des atrocités comme il se passe tous les jours en Afrique cessent… Et tout ça… public arrête le spectacle en levant la main et elle est ensuite invitée à prendre la place du comédien, et elle doit jouer la scène à sa place. Ensuite les gens qui ne sont pas d’accord réagissent et le débat commence dans la salle Bien sûr dans les spectacles de théâtre forum, dans les scènes les problèmes sont tout de suite montrés voir amplifiés. Dans ce spectacle sur l’éducation, par exemple dans une scène entre des parents et un enfant difficile, les parents ne réagissaient pas bien sûr de la meilleure manière avec leur enfant. La scène visait à montrer leurs faiblesses. Et bien sûr cela entraîne une réaction du public. Alors le point important du théâtre forum est de passer à l’acte, parce qu’il est très facile de juger d’une situation quand on est bien calé dans son fauteuil, mais le fait d’essayer de changer les choses par le jeu en montant sur scène, permet au public de bien saisir toutes les difficultés du problème. En ce qui concerne les Wécré, ils n’avaient pas exactement la même manière de faire, parce qu’ils se contentaient de faire les scènes présentant des problèmes et ensuite d'impliquer le spectateur en l’incitant à parler, en ouvrant le débat. Cela dit les comédiens restaient dans leurs personnages pour répondre aux questions, ce qui permettait aux spectateurs de rester dans la situation et dans le jeu.
4) Icare: La conception du théâtre au Burkina te semble t-elle différente de la conception occidentale et pourquoi ?
Estelle: Oui et non. Pas simple comme question. En fait d'après le peu que j'ai vu, avec le travail des Wécré et un spectacle vu au CITO, il semble que même au niveau du théâtre, leur manière de faire est très « colonisée ». Ils font un théâtre très réaliste, très narratif, avec des scènes, des personnages, une histoire, un début, une fin. C'est très classique en somme. Alors qu'en Occident on est passé par d'autres phases, et aujourd'hui le théâtre contemporain n'a plus rien à voir avec ça. Leur théâtre n'est pas du tout africain comme on pourrait se l'imaginer, imprégné de leurs rites et de la tradition populaire. C'est du théâtre très occidental mais comme nous (les occidentaux) nous faisions avant. Et
c'est ça que nous regrettons un peu avec les filles, c'est qu'ils fassent ce genre de théâtre très conventionnel alors qu'ils ont naturellement à leur disposition des outils merveilleux pour faire autre chose (corporellement, rythmiquement,...). Après je parle du Burkina, je ne sais pas comment le théâtre a évolué dans d'autres pays d'Afrique.
5) Icare: Comment est perçu le théâtre au Burkina, par le pouvoir comme par les populations ?
Estelle: Le théâtre au Burkina est très mal perçu, déjà par les populations. Un des comédiens des Wécré (Nyber), alors que cela fait 5 ans qu'il est dans la troupe, a attendu cet été de rentrer au village où il était accompagné de blancs pour dire à sa famille qu'il faisait du théâtre. Le fait d'être accompagné de blancs cautionnait quelque part son choix. Les gens ne considèrent pas que c'est un vrai métier. Et c'est encore pire pour les filles, ce n'est vraiment pas bien vu. En règle générale, bien sûr, les parents de Wenceslas par exemple le soutiennent parce qu'ils ont vu l'importance de son travail. Mais à première vue c'est encore mal accepté.
Au niveau du pouvoir, ils sont plutôt contents que des troupes aillent faire de la sensibilisation dans Ouagadougou, ou les villages. Mais pas question de donner des sous. Les gens ne peuvent pas vivre du théâtre. C'est sûr tous les comédiens de la troupe ont soit un boulot à côté, soit ils sont extrêmement pauvres.
6)Icare: Peux-tu parler du discours que cherche à véhiculer la compagnie Wecre ? Peut-on parler d’un discours politique et en quoi ? A t-il des singularités importantes par rapport au théâtre engagé occidental (dans la manière de s’exprimer…) ?
Estelle: Je pense que le théâtre des Wécré est avant tout un théâtre engagé, que ce soit avec le théâtre forum, ou les pièces créées par la compagnie. Le théâtre forum bien sûr est forcément du théâtre engagé parce qu’il soulève des dysfonctionnements du système et essaye de trouver des solutions. Ce que faisait Boal était politique. Les Wécré font des saynètes autour des thèmes de l’hygiène, des maladies, des médicaments de rue pour inciter les gens à changer leur manière de faire au quotidien. Mais il n’y a pas de remise en question directe de la politique ou du gouvernement. Avec leurs pièces, comme Le visiteur , qui traite des mythes et réalités de l’occident, des problèmes de la jeunesse du Burkina, là on touche à mon avis un peu plus au politique. Je pense donc que dans une certaine mesure on peut parler de théâtre politique, parce que leur théâtre montre les dysfonctionnements de la société. Avec notre nouvelle création commune, on peut parler de théâtre politique sans problèmes.
Pour ta dernière question, encore faudrait-il pouvoir définir ce qu’est le théâtre engagé occidental, il n’y a pas une forme mais de nombreuses. Ce que je peux dire sur les Wécré, le peu que j’ai vu de leurs créations (comme Le visiteur), c’est qu’ils restent sur le mode de la fiction, avec une histoire, une narration, des personnages, un début et une fin pour soulever les thèmes dont ils ont envie de parler. Le théâtre occidental engagé, ne fait plus tellement ça il me semble.
7) Icare: Comment sont écrites les pièces (collectivement ?.. .) ? quelle est la part d’improvisation ? Quelle place est accordée aux spectateurs pendant la représentation ?
Estelle: Oui les pièces sont écrites collectivement il me semble. Je pense que la part de l’impro est très importante dans leur manière de travailler, ils commencent par travailler en impros avant d’écrire la scène finale. La place qui est accordée aux spectateurs est très importante, pour le théâtre forum je n’ai pas besoin de revenir dessus tu as bien compris. Mais dans tous leur spectacle, il y a beaucoup d’humour, et de complicité avec le public.
8) Icare:Comment le public a t-il réagi aux différentes représentations des spectacles que vous avez réalisés ensemble ?
Estelle: Le public africain est un public extra. Il est là complètement dedans, les gens rient, crient, parlent entre eux, commentent ce qui est en train de se passer sur scène. C’est un public très vivant, très demandeur, et très impliqué.
9) Icare: Dans quels types de lieux avez-vous joué ? Influaient-ils beaucoup sur le déroulement des représentations ?
Estelle: Nous avons joué dans deux types de lieux, à Ouaga, par exemple dans un ancien cinéma en plein air, c'est-à-dire qu’il y avait des sièges et une scène. Ou encore à Ouaga dans un autre quartier avec également une scène. Et dans les villages, sous un arbre, ou dans des endroits un petit peu à l’écart. Dans ces deux genres de lieux nous avons été très bien accueillis. Le public est là, même pendant les répétitions nous avions toujours du public, la plupart du temps les enfants. Ce qui fait que le jour du spectacle, certains connaissaient déjà les moments drôles et riaient en avance. Il n’y a aucun problème pour faire venir les gens, en cinq minutes cent personnes se trouvent là comme ça. Ce que j’ai remarqué quand même c’est que les gens dans les villages étaient il me semble plus à l’écoute de ce qui se passait sur scène, plus dans le spectacle, ils participaient tout autant. En ville, c’était très vite la pagaille, et nous avions parfois du mal à nous faire entendre. C’est peut-être aussi que dans les villages nous n’avons fait que du théâtre forum. Mais je pense quand même qu’il y a une plus grande forme de respect dans les villages, les gens sont moins agressifs, rentrent plus facilement dedans que dans les villes.
10) Icare: Vous souhaitez organiser maintenant des représentations en France : n’est-il pas compliqué de chercher des subventions lorsqu’il s’agit de pièces « subversives » et dénonçant les systèmes politiques ? Penses-tu que cette démarche entre en contradiction avec l’objectif des pièces en question ? Considères-tu cela comme un « compromis » inévitable ?
Estelle: C’est compliqué de chercher des subventions dans toutes sortes de projets à mon avis. Ce qu’il y a c’est que dans nos dossiers, nous n’insistons pas trop sur la pièce politique, on explique en quelques mots de quoi il s’agit mais sans trop en dire. On parle surtout du projet de contes et du fait que nous voulons aussi pouvoir faire vivre la compagnie là bas. Bien sûr on peut voir ça comme ça, on cherche à dénoncer le système tout en en profitant.
Oui tout à fait je pense que c’est un compromis inévitable à faire. Mais soit dit en passant cela ne m’empêche pas de dormir, notre travail d’artiste, même si dans sa finalité veut toucher le plus grand nombre possible pour faire entendre un message, ne peut pas se passer justement de passer par des chemins qui ne sont pas forcément ceux que l’on revendique. Ce qui est le plus important pour moi c’est l’aboutissement, pas la manière dont on y arrive. *
11) Icare: Pour finir quels sont vos projets ? Sinon, quelque chose à ajouter ?
Estelle: Nos projets sont de réussir à faire venir les Wécré en France, c’est de monter la pièce, la jouer, faire jouer les spectacles de contes. C’est que les comédiens des Wécré puissent faire du théâtre leur unique métier. De continuer à se battre pour bouger les consciences, pour faire prendre conscience. Pour que des atrocités comme il se passe tous les jours en Afrique cessent… Et tout ça…
* ndr: Cela se discute à mon avis...Il me semble au contraire que la cohérence entre le discours d'une oeuvre et les moyens qu'elle utilise pour se faire entendre (au niveau de la production, de la distribution...) est une dimension importante. Surtout si le but poursuivi explicitement ou non est une transformation concrète de la société.
Peut-être qu'il vaut mieux toucher moins de gens mais commencer déjà à changer les choses en appliquant ses positions théoriques, plutôt que chercher toujours plus de public et que l'aspect politique demeure confiné à une posture purement intellectuelle.